5 août 2009 3 05 /08 /août /2009 16:02

Sombre, non pas le noir total, mais un gris nuancé, envahissant, tumultueux, assassin certainement d’un état vers un autre. Du vent, des forces immenses et pourtant éthérées, impressionnantes de légèreté. Une tension qui s’avance vers son paroxysme. Je reste indifférente et pourtant inquiète, angoissée, j’ai hâte et j’ai peur de ce qui se prépare. L’excitation cède enfin, un hurlement a déchiré l’obscurité d’un éclat sublime, des Z mit bout à bout, d’un blanc douloureux, je l’entendrais presque se plaindre, ils semblent se ruer, instantanés, vers quelque chose en contrebas… je saurais bientôt ce que c’est, pour moi aussi c’est la chute.

 

La vitesse s’accroît sans cesse avant d’enfin se stabiliser, une croisière verticale où je suis enfin forme, nous sommes légions telle que moi, d’un ordre supérieur qu’aucun bataillon ne saura imiter, le vent poursuit sa quête de chaos entre nous toutes, têtu car la charge ne peut échapper à son but, notre charge. Peu à peu se dessine ce que j’ignorais, son image apparaît plus précise de seconde en seconde, d’éternité… le sol. Masse informe de gris, marron, vert et bleu, toutes les couleurs sont foncées, encore ce vent, ou bien nous ? Très vite aussi des géométries, des géométries anarchiques ou plutôt côte à côte sans…si, un sens apparaît, des zones délimitées, les nuances sont plus fortes, l’accélération ne peut… il m’a sauté au visage ! m’a giflé impudent d’une force incroyable, écartelant ma forme, le sol, le monde à nouveau meurtrier.

 

Je n’ai plus de contours, je m’allie en rigole à des sœurs inconnues et nous dévalons, joyeuses et emportées vers le bas. Mobile dans l’immobile, mon latin est bien piètre, tout n’est que matière mais la notre est fluide, avide à la noce, contourner, submerger… épouser. L’inerte se défend, tel le vent précédent il s’entête et sait qu’il fera taire nos jeux. Un moule, plus de pente à séduire une cuvette nous échoue dans son sein, une flaque.

 

Claire, au loin dans le ciel un astre de feu célèbre mon prénom, celles de mes sœurs qui sont à la surface rejoignent, ascensionnelles, les nues qui nous ont relâchées, tantôt. Je suis tout au fond, je me fais plus fine qu’un cheveu et m’immisce entre les rides infimes de cette chair geôlière, à nouveau unique, la course reprend, ce mouvement qui m’enchante. Sans nous parler, moi et mes sœurs nous nous trouvons souvent, ces voies étroites semblaient un labyrinthe mais avec le temps (?) il s’avère une seule et unique destination, le torrent.

 

Je connaissais la joie voici venir la liesse, c’est un éclat de rire que je ne finirais pas, s’il ne tenait qu’à moi. La pression dans les courbes, je danse vive et effrontée, sans regard pour les obstacles battus comme des gardiens pris dans une ruée, certains sont balayés d’autres résistent, de pierre qu’ils disent. Leurs peaux sont tannées comme le cuir d’une vieille innocence cent fois bousculée, moqueuse je regarde pourtant parfois surprise, l’étrange apparence que nos luttes leurs ont laissé, statue de douleur aux cicatrices de beauté, mais l’ivresse est plus riche encore et rien ne peut m’arrêter, rien ne peut m’arrêter… la course se fait lâche et les sœurs plus nombreuses, nous voilà réunies encore dans un écrin prison ? La course s’est finie et j’aurais versé des larmes à sentir la force qui me quittait peu à peu, mais le fil se poursuit plus en lenteur, s’élargit aussi, la joie ne vient plus que de quelques goulées, trop rares, quand enfin un nouveau de mes mondes apparaît, le fleuve.

 

Impossible à dénombrer celui de mes semblables, je reste éberluée par tant de réunion. La force qui me grisait était vive et fugace, celle que je joins ici est lourde et impavide, des remparts et du temps, lente elle semble invincible, je m’endormirais presque dans ses bras indolents, j’observe rêveuse la matière ennuyeuse et me moque en secret de sa triste nature, condamnée à sa forme première, si statique, si vaine quant elle lutte contre moi et les miens.

 

Je le vois enfin, je connais son nom sans d’autres raisons que je connais le reste : un homme. Sur les berges il se tient droit et grave et me regarde ? Je l’ai bientôt passé et poursuis mon val, que sont donc ces barrages qui veulent m’inféoder, ils ne prennent qu’un temps et même m’amusent un peu, je ne sais pas pourquoi, ça me vexe. Des zestes pétillants se mêlent plus loin à nous, de plus en plus nombreux ils nous encouragent, nous attirent vers de grands espaces où nous serons reines, qu’ici est une prison quand on a vu là-bas, ils disent.

 

La mer, par tous les essaims qui m’ont prise, celui-là est le plus gigantesque que j’ai pu parcourir, la matière inerte a même disparu, à perte de vue nous ne sommes qu’entre nous, et notre force est sans mesure pour moi, la violence du torrent et la masse du fleuve ne m’avaient inspiré un pareil ébahissement ! Ma nature a changé les zestes plus nombreux me rendent plus lourde, mais étrangement, ça ne me vexe pas. Parfois je lèche un rivage, la pierre ou le sable, et nous nous étendons langoureuses comme des caresses d’amoureuses, je ris d’écume aussi, mais ce blanc n’est pas le plus beau que j’ai vu. Je peux fouetter les falaises et déchirer leur silence d’un bruit assourdissant, nous formons des mains monstrueuses n’agrippant rien, le plus souvent. Une fois une force irrésistible nous a animées toutes ensembles, pas celle du bas, ni celle qui nous élève, une autre. Nous nous sommes dressées comme autant de titans invoqués par des dieux fous, et nous avons dansé, furieuses et hurlantes en laissant libérée toute la puissance qui d’ordinaire reste à l’intérieur de nous, c’est un bal hystérique, un carnaval de fou, j’en ressors détendue et sereine, à pouffer dans le faux calme que j’arbore juste après, comme si rien ne s’était passé.

 

Un jour à la surface, comme le froid se faisait trop prenant, je fus à nouveau tuée ! Ma colère ne tarit pas dans cette montagne de glace où je suis ce que même je pouvais abhorrer, une matière solide, un objet ! Comment s’enfuir, j’ai été engloutie en plein cœur où rien ne pourrait fondre !? Avec mes sœurs jalouses nous poussons des plaintes andalouses, des complaintes violentes et mélancoliques en déchirants craquements symboliques qu’aucun tango jamais n’osera orchestrer. Nous avons tant de temps pour ces jeux de pénombre, je suis à l’agonie, vaincue et sans espoir, ce temps qui ne passe pas m’étouffe et je reste ainsi…

 

Claire, il fait bien plus clair, un chambardement m’aura ramenée à la surface ? Je suis vêtue du cristal délicat d’un flocon élégant, mon blanc irradie mes sœurs elles aussi finement habillées, l’espoir renaît dans mon cœur, je me sens fondre… Sombre, la vitesse, la flaque, le torrent, le fleuve, la boucle se boucle et tiens, sur la berge, l’homme a disparu ?


Merci à Clairelyse pour l'avoir lue et enregistrée.

Merci à Essia Skhiri pour sa traduction en arabe.

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